Les Signares

Les Signares

Les Signares existaient depuis la fin du XVème siècle dans les comptoirs portugais. A Saint-Louis, malgré les règlements drastiques de la compagnie interdisant à ses employés de faire venir leur famille de France, ce qui devait fatalement arriver, arriva : les deux communautés commencèrent à se métisser.

Quelques années après, les européens vivant au Sénégal purent ouvertement pratiquer le « mariage à la mode du pays » et leurs descendants bénéficier du droit à l’héritage. Un blanc vivant avec une « Signare » (du portugais Senhora), c’est à dire une femme (noire ou métisse) familiarisée avec la langue et les moeurs françaises, jouissait des meilleures conditions possibles. Ces femmes étaient des africaines nobles «guêloware», l’équivalent de la noblesse française et ne se mariaient jamais avec de simples matelots (Pierre Loti en a souffert) mais avec des cadres bourgeois ou aristocrates français et anglais. Ces mariages étaient des mariages d’affaires conclus au départ entre un chef de village ou un roi africain et un commerçant européen (vers 1600 sur la petite côte).
Ce concubinage appelé « mariage à la mode du pays » durait le temps du séjour du conjoint européen. Il donna progressivement naissance à une communauté intermédiaire, celle des mulâtres.
Plus tard, ces enfants issus de ces mariages furent suffisamment nombreux pour que les mariage se fassent à 80% au sein de leurs petite communauté. C’est la raison pour laquelle Senghor parlait d’une Aristocratie mulâtre.
Ceux-ci occupent à partir du milieu du XIXe siècle des positions importantes dans l’administration et les affaires, leur rôle politique et économique ira en s’affirmant.

signare-de-gore-e-avec-ses-esclaveLe Directeur de la Compagnie, Jean Baptiste Durand, les décrivait ainsi : Elles sont belles, douces, tendres et fidèles. Il y a dans leur regard un certain air d’innocence et dans leur langage une timidité qui s’ajoute à leur charme. Elles ont un penchant invincible pour l’amour et la volupté.

Deux siècle plus tard Léopold Sédar Senghor précisait : Signare je chanterai ta grâce, ta beauté. Des maîtres de Dyong, j’ai appris l’art de tisser tes paroles plaisantes. Paroles de pourpre à te parer, princesse noire d’Elissa. Belles, sensuelles, lascives, dociles, étaient donc les Signares aux yeux des européens concentrés dans cette île sans distraction.

Le souvenir, aujourd’hui, survit encore du faste qui servait à mettre en valeur la beauté des Saint-Louisiennes, avec leur escorte d’esclaves, de griots et de porteurs de flambeaux.

Des ombres hantent toujours les balcons à auvent et les galeries aériennes qui couraient autour des maisons en briques.

Quand Anne, la plus somptueuse des Signare de l’île rejoignait, à la nuit tombée, le chevalier de Boufflers (voir les Caprices d’une Fleuve), son amant, c’était au coeur d’une procession de flambeaux, entourés de musiciens et de danseurs.

Sois constant tout au moins si tu m’es fidèle.

Pense à moi souvent dans les bras de ta belle…


L’apogée du pouvoir « Signare » dans les années 1780. Durant tout le siècle qui précéda, leur rôle social, économique et culturel ne cessa de croître.

La recherche de la promotion et de la respectabilité sociales, l’influence culturelle du colon et de la soif de richesses, voire le goût de luxe, constituait donc, dans cette microsociété suscitée par les hasards de l’histoire, des éléments déterminant.

La manifestation la plus significative de cette état de choses fut la transformation de liaisons plus ou moins éphémère ou clandestines en unions durables et affichées, connues sous le nom de « mariage à la mode du pays ». Le mariage célébré, l’épouse était considérée par chacun comme légitime. Elle donnait à ses enfants le nom du père. Ces sortes d’unions fondèrent les grandes familles de Saint-Louis et de Gorée.

Au moment de la Révolution Française, Saint-Louis comptait environ 1200 mulâtres. Le nombre de Signares est difficile à évaluer mais elles constituaient l’élément moteur d’un style de vie combinant les traits de caractère de la société Wolof et la société européenne, offrant un attrait particulier pour les étrangers. Le premier agrément accordé au regard était le costume des Saint-Louisiennes, que l’Amiral décrit : Il consiste en un grand pagne dont elles s’entourent depuis la ceinture jusqu’aux pieds et un autre pagne qu’elles jettent négligemment sur les épaules. Les Signares, elles y substituaient un mboube ou chemise « à la française » de toile fine brodée, qui laissait l’épaule gauche dénudée et des jupons de taffetas ou de mousseline.

350Imaginez-les passant dans la rue, la démarche souple, froufroutantes, escortées de demoiselles de compagnie et du griot de service, devant le nouveau toubab ébahi ! Mais la marque distinctive de la Signare résidait plus encore dans le nombre et la variété de ses bijoux « couverte d’or » n’était pas à Saint-Louis une simple image. Mains, poignets, bras, chevilles, oreilles, chaque partie utilisable de la tête ou des membres était propice à la parure et aux joyaux filigranés des orfèvres Maures. L’or devenait, sous forme de colliers, de bracelets, de boucles de pendentifs, de bagues, d’anneaux, de chaînes, de pièces, de médailles, l’objet d’étalage ostentatoire et rivalités attentives.

Pour compléter des Signares, il faut aussi évoquer leur maquillage : Elles se noircissent, dit Lamiral, le bord des paupières avec de la titie, elles se rougissent le dedans des mains qu’elles ont d’une couleur livide avec le suc d’une herbe, elles font de même aux ongles des mains et des pieds et les rendent d’un rouge incarnat qui dure fort longtemps. Leur coquetterie est poussée au point qu’elles ont en travaillant un petit miroir devant elles pour repaître leurs yeux de leur image.

Quant à leurs esclaves, elles sont vêtues de brassières de colliers faits avec des grains de verre de corail, d’ambre, des grelots d’or et d’argent très ingénieusement enfilés. Le mélange de ces couleurs sur la peau d’ébène fait l’effet le plus pittoresque. leurs cheveux sont aussi adroitement frisés en petites boucles flottantes sur le col et ressemblent parfaitement aux grosses cannetiles dont sont faites les épaulettes d’un colonel…

Les résidences des Signares étaient également des lieux de distractions et de réjouissances : Elles s’y retrouvaient entre elles, par sociétés dénommées mbotaye. Appartenaient à la même Mbotaye, les Signares d’âge et de rang comparables. Les folgars ou plus simplement les bals qu’elles offraient à domicile consacraient les danses européennes et permettaient au Signares de déployer faste et beauté. Les Signares n’hésitaient pas à embrasser rapidement le catholicisme, le baptême des enfants métis, et même des enfants d’esclaves, semble avoir toujours été pratiqué.